osteel's blog Chroniques d'un autre breton diasporique

J'irai au Bout Du Monde

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"We are sorry that we have had to cancel your flight."

Wait, what?

Nous sommes le mardi 29 juillet, il est 6h du matin et je viens de me réveiller en douceur avec la voix suave de Beth Gibbons. J'attrappe mollement mon téléphone pour stopper l'alarme et désactiver le flight mode, puis le texto d'EasyJet s'incruste sur mon écran pour m'apprendre la sale nouvelle. Je suis censé me rendre à Gatwick trois heures plus tard pour choper un vol en vue d'un séjour d'une semaine dans ma belle région natale, entrecoupé de trois jours de beuverie découverte musicale au Festival du Bout du Monde.

La tuile.

La compagnie propose de me rembourser ou de me transférer gratuitement sur un autre vol. Les yeux toujours collés, je tente la seconde option, qui m'apprend que le prochain trajet similaire est deux jours plus tard à la même heure, ce qui ne m'arrange pas vraiment : j'ai de la famille à voir dans cet intervalle et des guests AirBnB qui débarquent le soir-même. Je commence à googler "IDBus" avant de me souvenir que non, je ne vais pas à Paris, que je vais à Brest, et que donc non, ça ne va pas être possible.
Un peu déconfit (pas comme le canard, haha. Ouais bon, ça va), je check sans trop y croire le site de la Brittany Ferries. Bonne surprise, il reste de la place pour une traversée de nuit le soir-même et en plus, c'est pas super cher. Je commence à remplir les différentes étapes de la réservation et entrevois ma douleur à venir : il n'y a plus de cabines, juste des sièges. Je relativise en me disant que ça ne peut pas être pire qu'un vol long courrier et réserve une place.

Il me faut encore trouver un moyen de me rendre à Plymouth : je jette un coup d'oeil rapide sur les sites de compagnies d'autocar qui m'annoncent six heures de trajet en moyenne - je ferme les onglets en rigolant. Prendre un taxi sur cette distance n'étant évidemment pas une option, je me rabats sur les trains… ce qui me reviendra à presque deux fois le prix du ferry pour 3h de voyage. Comme quoi la France n'a pas le monopole de l'enfilade ferroviaire.

C'est donc délesté de quelques deniers que je me dirige vers Liverpool Street quelques heures plus tard, trainant ma tente 2 secondes (dont je ne sais franchement plus si le dépliage/repliage justifie la plaie que c'est à trimballer) et une valise empruntée à mon coloc, qui n'a plus de gomme et fait un raffut pas possible (la valise, pas le coloc, soyez pas bêtes).
C'est un voyage de plus de quinze heures qui s'annonce et j'ai légèrement l'impression de partir à l'aventure.

Ma première étape est la gare de Paddington (ouiii comme l'ours), d'où part mon train pour Plymouth. Une fois n'est pas coutume mon timing est nickel et j'arrive un poil en avance. Lorsque la voie est annoncée, je rejoins ma voiture tout en réalisant que c'est la première fois que je prends le train au Royaume Uni (depuis que j'y habite officiellement, du moins). Certes, je me suis déjà rendu à Brighton et au Thorpe Park (<= c'est cool), mais c'était plus comme prendre le RER ou le transilien et du coup, ça compte pas.

Je m'installe à côté d'une dame qui a l'air gentille et qui semble vouloir communiquer. Le souci, c'est que je ne comprends pas un traître mot de ce qu'elle me raconte (accent non identifié). Son body language et le contexte m'indiquent qu'elle vient très probablement de sortir une boutade : je réponds donc naturellement par un "haha yeah" passe-partout.
En vrai, elle vient peut-être de me prévenir qu'elle supporte mal les voyages en train et risque à tout moment de me dégueuler son lunch sur les chaussures. Difficile de savoir avec certitude : quand t'es expat', tu deviens un peu mentaliste, mais ça a parfois ses limites.
M'étant levé à 6h du tam pour rien et couché tard la veille (pour tous les petits oublis de dernière minute, genre la préparation de mon sac), je m'endors assez rapidement.

Je suis réveillé une heure plus tard, surplombé par la contrôleuse qui attend que je lui montre mon ticket (coucou, tu veux voir mon ticket ?). Je m'exécute en grognant un peu et jette un oeil par la fenêtre pour constater que le paysage qui défile est plutôt mignon. Google Maps m'apprend qu'on est dans le Somerset : la campagne anglaise, en gros. Le soleil décline lentement, le wagon est paisible, les vibrations du train sont douces : on est plutôt bien, en fait. Je sors le bouquin pioché un peu au hasard dans la bibliothèque collaborative de la coloc (chacun des colocataires s'étant succédés dans l'appartement depuis quatre ans a laissé quelques ouvrages en partant, constituant progressivement une collection hétérogène) et m'y plonge pendant une bonne heure. Le train s'arrête à une gare, ma voisine descend : j'en profite pour piquer sa place près de la fenêtre. On est désormais au bord de la mer et le soleil a mis ses pantoufles.

Me sentant inspiré (en partie par les mots de Rita Golden Gelman dans son "Tales of a female nomad", certainement), je sors mon laptop et commence à écrire ces quelques lignes. En bon addict, je check tout de même les connexions wifi, au cas où : il n'y a qu'un réseau bloqué - celui du Samsung de Sarah, qui doit être en train de hotspot sa 3G comme une grosse crevarde quelque part dans le wagon.
Je regarde à nouveau par la fenêtre et me surprends à me dire que cette annulation de vol n'est peut-être pas une si mauvaise chose, finalement.
Lorsque l'on prend l'avion, tout s'enchaîne rapidement, avec une petite dose de stress dont on ne se sépare vraiment qu'une fois à destination : navette, bagages, check-in, douane, embarquement, décollage, gosse qui chiale, atterrissage, douane, bagages.
Boom.
Sur cette distance, à peine deux heures de vol et c'est plié.
C'est une formule qui sent fortement le réchauffé mais qui reste néanmoins empreinte d'une certaine vérité : on ne prend plus le temps de prendre le temps, et être forcé de le faire de temps à autre est peut-être une peine nécessaire.

Plymouth est annoncée : je range mon Mac et récupère ma 2 secondes qui m'attend sagement sur la passerelle.

La dernière fois que j'ai mis les pieds à Plymouth, ce devait être en 5ème pour un voyage scolaire. J'y avais un correspondant qui s'appelait Sean et qui était fan de South Park. Une fois, on était allés faire un billard avec son père dans un pub où des vieux jouaient au bingo, et une autre fois on avait fait une boom sur un bateau et "Baby one more time" faisait partie des tubes qui passaient. Et c'est à peu près tout ce dont je me souviens.
Autant dire que la ville ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable, et la traverser à pied pour rejoindre le port m'a vite rappelé pourquoi : gosh que c'est triste. En définitive, pas grand chose à dire sur le patelin ; les rues étaient désertes et mon seul stop aura été le McDonald's (ne me jugez pas). J'y aurai croisé un groupe de jeunes français en séjour linguistique, me faisant part de leur dépit quant au manque d'activités dans le coin.
Tu m'étonnes.

Passée cette étape culinaire, je me dirige vers le port où m'attend mon ferry. Nous ne sommes pas extrêmement nombreux dans la salle d'embarquement, la grosse majorité des passagers étant des automobilistes. Je passe les douanes à pied et monte à bord de l'Armorique, qui ma foi est un beau bébé. Je dépose le gros de mes bagages dans la salle idoine qui sera fermée pendant la traversée pour ne garder que le nécessaire, puis me mets en quête de ma place réservée. Elle se trouve au beau milieu d'une centaine d'autres sièges similaires, qui s'avèrent être à peine inclinables et ne disposent pas de prises électriques.
Hmm.
Plus tard, je comprendrai que la plupart des gens ne réservent pas de fauteuil et vont directement s'approprier une banquette sur laquelle ils finissent par se coucher. Mieux installés et sans supplément, donc. On saura pour la prochaine fois.

Comprenant qu'il va me falloir trouver un coin plus sympa pour me poser, je monte à l'étage et m'installe près du bar (on se refait pas). La traversée dure 7h30 en tout : quand je parlais de prendre le temps… Je commande un gin AND tonic et branche mon portable sur une des prises à disposition au niveau des tables. Il y a du wifi (lent, mais mieux que rien), à boire et à manger, on peut sortir prendre l'air sur le pont (mais genre littéralement : tu te prends le vent bien violemment dans la face), s'installer devant une machine à sous pour un remake un peu cheap de "Casino", ou jouer à une borne d'arcade des années 90. Il y a aussi des salles de cinéma mais je ne me suis pas trop penché sur la question. Bref, y'a pire.
Je reste après la fermeture du bar puis, ne parvenant plus à fixer l'écran sans cligner des yeux toutes les trois secondes, décide d'aller me coucher (parce que je suis fatigué, hein, pas parce que je suis soûl).

Il n'y pas de lumière au niveau du "dortoir" et je galère un peu à rejoindre ma place. Je la trouve enfin, mais y'a un léger souci : un mec dort étalé au pied de mon siège. Ah.
Et en plus, il ronfle. Putain.
Heureusement, il y a d'autres fauteuils restés libres : j'en prends un au pif et tente de m'installer confortablement.

lol.

S'en suivent quelques heures de lutte contre le froid, de mal de dos, de voyageurs qui ronflent en canon, et d'auto-reproches d'avoir laissé mon sac de couchage et mon matelas dans la salle des bagages.

J'ouvre les yeux avec les premières lueurs du jour et l'impression de les avoir tout juste fermés. Il est un peu moins de 6h heure locale, il reste environ une heure de trajet. Je me prends un croissant et file prendre l'air sur le pont pour tenter de me réveiller.

En bout de course, j'ai une belle encéphalorectomie et la journée s'annonce longue mais, malgré ces quelques dernières heures un peu difficiles, ce voyage se sera avéré bien plus agréable que prévu.

Et la récompense n'était pas loin...

Hmm ? le Bout du Monde ?

Ah ouais, c'était cool.

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Posted by osteel on the :: [ travel thoughts ]

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